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Au bout du conte...

Dernière mise à jour : 5 mars 2020

Parfois au milieu de la nuit, les Chats s'offrent une petite virée en prose. (Les chats ne s'interdisent rien, c'est bien connu) Parce que la prose aussi , chat m'a-Muse. Cette nuit c'est un petit conte qui a éclos sous une lune caressée sur 42% par la lumière lointaine du soleil. En pensant au reflet de cette lumière à la surface de notre satellite, le mot miroir s'est imposé. Car la lune qui nous inspire n'est pas celle des cratères, mais celle qui nous éclaire au milieu de la nuit...



ÂME(S) MIROIR


Cette nuit j’ai fait un rêve étonnant.

Sur une berge peuplée de marchands colorés, j’en rencontrais un enturbanné d’un bleu profond, et dont le regard plus profond encore avait arrêté le temps et mon mouvement.

Je me tenais devant lui quand il arracha sans préavis le bracelet fantaisie sur mon poignet.

Dans mon rêve, je ne pris pas ombrage de la brutalité de son geste.


Il me tendit un miroir. Le miroir en soi n’avait rien d’extraordinaire. Si ce n’est qu’il était piqué dans les angles de quelques tâches noires, indiquant que le tain avait souffert de la course du temps.


« Ce miroir a vu se contempler 1000 visages mais n’en a jamais reflété aucun. Il n’a pas été construit par l’Homme et t’attends ici depuis les origines de la Vie »


Je saisis l’objet, sceptique, insensible à son marketing folklorique. Après l’avoir vaguement observé et constaté que je voyais mon reflet, comme il fallait s’y attendre dans le cadre argenté du miroir, je lui tendis à nouveau, bien décidé(e) à récupérer le bracelet qu’il m’avait volé pour m’interpeller.

C’est payé, dit-il en me montrant le bracelet désormais fiché dans sa chevelure dense, que révélait à présent son turban dénoué.

Son regard m’imposa le silence, et mes mains comme hypnotisées, reprirent le miroir avec précaution pour le glisser dans le sac en coton qui pendait à mon épaule.


« Je ne comprends pas », finis-je par articuler d’une voix soudain devenue blanche.


« Ce miroir ne reflètera bientôt plus le visage que tu connais de tes yeux, mais celui que tu connais avec ton cœur. Alors tu sauras à quoi tu ressembles, et tu pourras devenir. »


En rentrant, je déposais nonchalamment le miroir sur le buffet en vidant mon sac en coton.

Ne sachant trop qu’en faire il y resta quelques saisons, sans que je n’y prête aucune attention.

Un jour que j’entrepris de faire un grand ménage de printemps, je fis une étrange découverte.

Dans le miroir, je vis le reflet d’un vieillard, sa peau était tannée et ses cernes creusés par le feu des épreuves. Voûté, fatigué, bancal, il avait le regard las et le cheveu rare.

Intriguée, je souris au miroir pour voir comment évoluait mon reflet. Il me rendit un sourire poli avec un petit signe de la main fatigué, à la manière d’un pâtre grec croisé sur un chemin chevrier.

Je reculais, perplexe et rangeait le miroir dans le fond du tiroir pour ne plus le voir.


Et puis tu es entrée dans ma vie, et tu es venue chez moi - avec ta bonne humeur et ta jolie voix.

Le soir même, je cherchais une allumette pour la bougie parfumée que tu m’avais apportée. Et j’ai ouvert le tiroir au miroir.

J’y ai vu une ballerine qui dansait, ivre de joie. Il n’y avait pas de fardeau sur son dos. Juste une tension vitale dans chacun de ses muscles. Elle dansait semblait-il sur un rythme organique. Je m’aperçus que ce rythme battait dans ma poitrine. Si je songeais à ton sourire, le rythme s’accélérait et la ballerine semblait prendre plus de plaisir encore à improviser des figures.

Je ne me lassais plus de la voir danser. Elle rajeunissait parfois encore, dansant avec une fougue adolescente et incandescente. Je n’avais jamais tant aimé mon reflet dans le miroir.


Puis tu es partie. Loin loin de ma vie, dans l’immense silence.

Je n’ai plus vu dans le miroir qu’une danseuse fêlée et frigorifiée. Une danseuse malgré tout, qui savait désormais la grâce de danser, et à qui cette ivresse manquait.


J’ai laissé la danseuse et le miroir m’oublier au fond du tiroir. Je m’oubliais aussi, me jetant avec fracas dans le devoir et les obligations que je montais de toute pièce pour ne pas trop penser.


Au final, j’ai décidé de ne plus m’oublier, et de ne pas t’oublier non plus. La danseuse s’est relevée sur ses pieds, plus nus et blessés que jamais - et elle s’est remise à danser. C’était une danse lente profonde, émouvante. Ceux qui en croisaient le chemin se laissaient emporter et repartaient ressourcés et habités eux aussi de l’envie de danser.

Parfois, lorsque je pensais à toi, le rythme de sa danse s’emballait, puis elle gardait cette fougue des heures durant, s’essoufflant de ce souvenir grisant qui lui donnait tant de force à présent.

De plus en plus, elle maîtrisait son art. Elle semblait défier l’apesanteur, partout et toujours en équilibre, fendant l’espace comme une lame fugace. L’occupant tout entier comme un oiseau habite le Ciel. Les ailes battant au vent dément comme s’affole un carillon Koshi, accueillant les tempêtes avec enthousiasme et défi.

Rien, plus jamais, ne l’arrêtera de danser.


Oui depuis toi, je suis ballerine. Dans mon âme, dans mon cœur, dans le miroir.

Je me suis donné(e) le nom d’Amour, le nom d’Ivresse, le nom d’Espoir. Chacun de mes pas danse ces mots.

J’aimerais tant qu’un jour tu croises le marchand sur la berge et que je danse dans le miroir.

Pour tes beaux yeux.

Et puis que, ce jour-là où lasse et fatiguée tu verras une petite vieille dans le miroir, ou encore quelque cœur tempête chevillé par la colère des blessures et des énigmes irrésolues, je te tende la main. Je t'entrainerai alors dans ma danse. Pour déposer ton fardeau à nos pieds ensorcelés. Tu seras légère soudain, et, dans le miroir de mon regard, tu comprendras toute ta beauté.


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