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Interview Andoni Iturrioz

Meow !


Avec son 2ème album solo, le Roi des ruines, Andoni Iturrioz est le doyen des finalistes 2020 du Prix Georges Moustaki.
Une grande joie pour lui qui a déjà participé deux fois au concours en solo ou avec son groupe Je rigole.


Doté d'une écriture dense, imagée et profonde, qui laisse place a beaucoup d'interprétations. Certains la voient mystique, d'autres engagée, pour lui elle est avant tout un objet expérimental. 

 

Il m'explique lors de notre échange comme l'écriture est pour lui un vecteur de transcendance, et la pierre angulaire de tout son travail artistique.
 

Passionnés par cette discussion nous nous sommes laissé embarquer dans un long interview aussi poétique que surprenant.
Il se pourrait même qu'on ai dessiné la trame de son futur album à la faveur d'un petit jeu d'imagination ... Ou pas !

 

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Andoni Iturrioz pour son dernier album solo incarne Le Roi des ruines  et nous fait goûter à l'encre de son introspection.

Andoni Iturrioz / auteur-compositeur-interprète

Le Chat à Plume : Tu es le doyen des finalistes du Prix Georges Moustaki, que représente ce concours pour toi ?

Andoni Iturrioz : Je dirais de la visibilité et aussi une forme de reconnaissance. Ça fait bien 10 ans que je chante et c’est ma 3ème participation. J’ai déjà participé en tant qu’Andoni Iturrioz en solo et une fois avec mon groupe « Je rigole ». Les 2 dernières fois je suis arrivé en demi-finale, donc là je passe en finale je suis content.


 

CàP : Est-ce que tu dirais qu'aujourd'hui ton écriture a atteint sa maturité ?

 

AI :  Je pense que le Roi des ruines est ce que j'ai fait de plus abouti; que c'est mon meilleur album. Mais les 2 premiers albums en terme d'écriture sont déjà valides pour moi. 

C'est plutôt dans le reste qu'ils peuvent avoir de l’immaturité : la musique, l’orchestration, l'interprétation. 

L'écriture me semble assez mature depuis longtemps. Elle a évolué cependant. Dans le  premier albums, les textes sont plus en lien avec des thèmes de chanson assez classiques mais que je tordais à ma manière, avec un angle original. Le deuxième est tiraillé entre le premier et le troisième disque. Alors que là , avec le Roi des ruines, je suis rentré dans une exploration propre. Il s'agit d'une exploration existentielle, d'un travail de conscience. Comme ruer dans les brancards du mystère d'être en vie. 

 

CàP :  Tu dis que tu fais de la poésie en musique. C'est quoi pour toi la poésie ?

 

AI : Baudelaire disait que la poésie, l'art en général, est un mélange d’une matière culturelle, civilisationnelle, la langue d’une époque, et de quelque chose d’absolu, d’hors du temps, d’inaltérable. C'est une forme de langage, de point de vue sur le monde mélangé à quelque chose de pur, d'inexplicable, un souffle qui vient d'ailleurs... C'est quand quelque chose d’inanimé prend vie et se révèle à travers l'auditeur, le lecteur ou le spectateur en fait. 

 

CàP : Dans ton écriture, le sens commence-t-il à se dégager à partir du mot, ou de la phrase ?

AI : Il y a des mots qui nous obsèdent, qui reviennent. Par exemple, Brassens quand on l'interrogeait sur la présence de la mort dans beaucoup de ses chansons, disait que la mort, était simplement un mot qui lui réussissait bien. Moi ce serait plus des mots, comme ciel, étoiles, des trucs liés à l’infini parce qu’étant dans un travail de quête existentielle, d’exploration du mystère d’être en vie, les mots qui évoquent l’infini sont des outils pratiques.
Mais un mot est un mot. C’est à dire qu’il a à la fois sa vibration propre et ce que chacun vient mettre dedans. Par exemple tu dis “étoile”, on va tous voir une étoile mais aussi quelque chose de différent : certains verront plus étoile au sens de star, étoiles d’Hollywood, une résonnance un peu comme ça, quand certains auront en tête l’inaccessible étoile au sens “Brélien” du terme, d’autres un truc plus romantique, mélancolique, d’autres plus paisible, scintillant, en constellation, d’autres plus scientifique ou philosophique…etc... donc dans le mot, il y a déjà des nuances comme ça. Ca c’est un mot, mais tu ne fais pas une oeuvre d’écriture avec un mot parce que chacun fait l’oeuvre avec le mot, chacun l’entend selon sa sensibilité. En terme d’écriture, un mot, ce n’est pas une oeuvre. Ou alors une oeuvre disons, collective et historique, liée à l’histoire de la langue. La création commence à partir du choix et de l’assemblage des mots.

 

CàP : Quand tu écris, le sens précède-t-il le texte, ou l’inverse?

AI : Ça dépend des fois. Par exemple quand j’ai écrit Révolution (par épiphanie collective),  je voulais exactement écrire une chanson qui évoque cela, une épiphanie globale où tout le monde se retrouve avec une conscience augmentée. Donc je suis parti de ce thème et ensuite j’ai déroulé et écrit. A l’inverse dans le premier album, il y a ils m’envient, où j’ai écrit sans savoir de quoi ça parlait et n’ai réalisé qu’ensuite que ça parlait d’enfance. J’ai déroulé le thème que j’ai découvert dans l’écriture. La différence, c’est que quand tu écris et que tu découvres le sens à posteriori, en général tu passe par des biais qui sont inattendus. Tu prends un chemin, et, comme tu n’as pas de thème, que tu n’as pas d’objectif,le chemin peut être assez détourné, étrange… et tout d’un coup tu réalises que tu parles de ça. Après tu peux remonter un peu et réécrire certains trucs pour clarifier le sens qui s’est révélé. Mais du coup c’est intéressant, parce qu’en fait tu te mets sur la tête et tu te retrouves à te demander comment tu vas retomber sur tes pieds.
Quand tu sais où tu veux aller en revanche, le piège, c’est de vouloir aller trop directement à ce que tu veux dire, et du coup appauvrir la richesse du chemin. Il faut faire attention à ça.

Dans les  deux cas, il y a une espèce de référent intérieur quand tu écris un texte. En général c’est le temps qui te dit si quelque chose par rapport à l’écriture fonctionne ou ne fonctionne pas. Donc tu prends un peu le temps et tu revisites ce que tu as écrit. Et souvent quand tu as fini un texte - en tout cas c’est mon cas - j’ai validé mot pour mot. Du coup que j’aie pris le chemin dans un sens ou bien dans l’autre, ça ressemble à ce que je suis. Un texte est terminé quand on atteint cette justesse. Les textes sont un prétexte à la recherche de la vérité.

 

CàP : Et les titres? Viennent-ils en début ou en fin de ton processus d’écriture ?

AI : Le titre de l’album Le roi des ruines, j’avais le titre avant d’avoir la moindre chanson. C’était un concept. Et c’est vrai pour tous les albums que j’ai fais. les 3 albums, L’insolitude, Qui chante le matin est peut-être un oiseau j’avais les titres avant.
Pour les textes c’est souvent l’inverse. Par exemple, La fabuleuse histoire de Judas Iscariote, le titre m’est venu à la fin. D’ailleurs le texte ne parle pas directement de Judas. J’ai écrit ça sans penser à lui. J’ai eu le titre après.

Enfin La Joie Noire j’avais le titre, Le Roi des ruines aussi du coup vu que c’est aussi le nom de l’album, Dans la rocaille non, c’est venu de “Le soleil court dans la rocaille” celui-ci, Révolution (par épiphanie collective) j’avais le titre, sauf que j’hésitais à mettre par épiphanie collective, Smara j’ai écrit le texte puis j’ai lu le bouquin de Michel Vieuchange, Smara, et je l’ai nommé comme ça et Olé, c’est un truc  de Coltrane que j’ai récupéré, donc encore une fois y’a pas de règle, non.


 

CàP: Comment l’écriture est-elle venue à toi?

AI : Tout gamin j’ai commencé à écrire des poèmes. Je me rappelle très bien du premier poème qui m’est venu quand j’étais dans la voiture avec mes parents, à l’arrière , et tout d’un coup un truc m’est venu, j’ai commencé à le réciter à mes parents. Sans papier comme ça, en live. Et mes parents étaient tout étonnés, ils m’ont fait “mais c’est pas de toi?”.
Puis je suis rentré je l’ai noté et à partir de là j’ai vu que j’avais un truc avec ça. Et puis aussi j’écoutais beaucoup de chansons “à textes” les mots me parlaient. Mes parents notamment écoutaient beaucoup Brassens, mais aussi Brel, Renaud, et en espagnol aussi Paco Ibanez.

Donc voilà j’ai écrit des poèmes quand j’étais gamin, puis ensuite je suis parti en voyage pendant longtemps. J’avais essayé de me mettre à la musique jeune mais je n’avais jamais réussi à y consacrer l’effort nécessaire. Je m’y suis remis vers 24-25 ans et cette fois ça a marché, et c’est les textes qui sont venus en premier.

 

CàP : Quels sont les déclencheurs de l’écriture d’un texte?

AI : Ça peut venir d’une idée que je note - où je me dis, tiens, faudrait que je traite ça en chanson ou alors c’est une musique qu’on me propose qui m’évoque quelque chose ou plus simplement le désir d’écrire une chanson: je me mets devant une feuille et je découvre ce qui sort. Pour faire ça j’ai un peu besoin de me foutre dans un désert. C’est à dire qu’en gros pour me mettre à écrire une chanson, j’ai besoin d’un certain état.
Je compare ça souvent à la plongée sous-marine, tu sais il y a des paliers d’adaptation : -5m, -10 m etc. Il y a des gens qui peuvent écrire à -2 m et ça leur va bien, mais moi je suis un auteur des profondeurs. (rire) Ça donne d’ailleurs une couleur à mon écriture : elle est profonde, existentielle. D’ailleurs tout à l’heure quand on évoquait les mots récurrents, bah le mot désert en fait partie, car c’est aussi un état dans lequel je dois être pour écrire. C’est au milieu du désert que j’écris.

 

CàP : Quel temps consacres-tu en général au travail d’un texte et qu’est ce qui te pousse à continuer à le travailler ?

AI : Ça dépends des textes parce qu’il y a toujours un peu des miracles, tu sais, les chansons que t’écris en 2 heures. Le texte dans la rocaille par exemple est un de ceux-là. Je ne l’écrivais même pas pour moi à la base, c’était pour le chanteur Christophe. Mais finalement il n’a jamais reçu le texte. C’est Lisa Portelli qui a pris le texte sur mon bureau et l’a mis en musique, et du coup c’est devenu une chanson pour son album la Nébuleuse. mais quand je l’ai entendu mis en musique par Lisa, j’ai réalisé que le texte parlait beaucoup plus de moi que je ne le croyais et je l’ai repris pour mon disque.

Mais en général ça prend plus de temps. Je peux écrire la masse du texte en quelques jours une semaine un truc comme ça, et ensuite avec le temps j’y reviens, j’y repasse. Parce qu’à chaque fois qu’on crée on a tendance à s’accrocher à ce qu’on vient de faire, parce qu’on s'identifie avec. Mais quand on laisse passer un peu de temps on est devenu un autre et on subit moins cette identification, l’égo laisse plus de place au texte, parce que ce n’est déjà plus nous. Ça nous donne un autre regard et une pertinence plus grande par rapport à ce qui a été écrit.

 

CàP : Ton écriture regorge de figures de styles (allitérations, oxymores etc…) est-ce un travail de recherche conscient chez toi ?

AI : Non, je ne travaille pas du tout le style. Le style c’est ce qu’on est, ce qui est juste, ce qui marche et c’est le contraire de l’effet de style. C’est comme sur scène, evidemment il faut travailler la technique, la voix, tout ça. Mais en fait quand tu trouves le juste, tout se met en place. C’est comme la position corporelle si tu veux. La position corporelle, si tu regardes les gens dans la rue quand ils marchent, comment ils se tiennent tu peux voir qu’ils ont une idée d’eux-mêmes. Par exemple les grands ont tendance à vouloir cacher le fait qu’ils sont grands, alors que les petits ont tendance à se tenir de sorte à se grandir, les filles peuvent ou montrer leurs seins, ou cacher leurs seins en rentrant les épaules, les hommes ont tendance à avoir le bassin en avant pour montrer une attitude virile. En fait tout simplement on se fait une idée de soi-même et soit on veut la corriger, soit on veut la souligner. Le but ce n’est pas d’avoir une idée de soi-même mais de découvrir ce qu’on est. Et découvrir ce qu’on est c’est se mettre dans une posture neutre d’abord puis ensuite de vivre.

Donc pour revenir à la scène, déjà, si tu te mets dans une position où tu essaies simplement de mettre les choses les unes sur les autres, les épaules, le bassins bien droit par rapport aux tibias tout ça, en alignant bien tout, tu vas sentir que l’énergie flue plus simplement dans le corps. Et ensuite, avec cette énergie là il va se passer des choses. Et c’est ça qui va te faire découvrir ce que tu es. En écriture c’est pareil, quand tout s’aligne ensuite il se passe des choses. Des choses qui sont plus grandes que toi ou en tout cas de l’idée que tu as de toi.

 

CàP : J’ai lu dans différents articles qu’on qualifiait ton écriture de mythologique. Est-ce un mot qui lui ressemble ?

AI : Je pense que c’est lié aux références que j’utilise dans mes textes. Comme je l’évoquais tout à l’heure on ne crée pas de nulle part. On crée dans un bain commun. Comme je te disais que les mots, ont déjà leur charge de sens, et même énergétique d’une certaine manière. Du coup quand tu commences à aligner des phrases et que tu commences à parler, en fait tu parles depuis un endroit. Le fait de parler en français, tu es chargé d’une certaine vision du monde. Une langue c’est une vision du monde, c’est une manière de voir et d’être au monde. Et du coup tu es chargé disons de symboles communs, d’archétypes, comme dirait Jung. Et en ce qui nous concerne, on baigne dans une civilisation qui a en termes de symbolisme la mythologie grecque, la mythologie biblique et ensuite le mythe révolutionnaire, en gros. Et quand mon écriture cherche à formuler une vérité elle se sert de l’outil qu’elle a, et donc des symboles et de la mythologie qui sont dans la langue par laquelle je vis. Du coup dans mes textes on trouves des références bibliques alors que je n’ai jamais cherché à en faire. Mais évidemment Judas Iscariote m’est venu pour exprimer la trahison de la vérité. Du coup Jérusalem aussi. Ce sont des mots valises qui transportent une charge symbolique, énergétique et émotionnelle dont je me sers dans ma quête de vérité.

La fabuleuse histoire de Judas iscariote · Andoni Iturrioz - Le roi des ruines

CàP : Dans une interview à François Alquier tu disais : « Je ne veux pas faire bouger les consciences, mais la conscience. L’écriture est un outil pour travailler à ma propre conscience. Les autres participent à mon propre travail de conscience puisque j’écris pour les autres… »  tu dis aussi que tu cherches à travers l’écriture à “proposer une expérience ou chacun peut formuler son propre inconnu”. Comment conscientises-tu - ou non - cette distance entre cette quête intime et la volonté que tu as de ne pas être dogmatique vis à vis de ton public?

AI : Je ne me pose pas vraiment la question. Je fais ça naturellement. Si tu dis une phrase littérale qui explique la vie, tu l’enfermes. Je peux avoir quelques axiomes comme  par exemple “Entendu que la beauté a toujours raison” mais c’est plus une lumière un hameçon, une accroche, ça se transforme ensuite. Tu ne peux pas rendre visible qu’avec du noir -encore que Soulage dirait peut être le contraire (rire). Mais en matière d’écriture, j’aime bien les aphorismes. C’est comme des mots. Quand tu prends un mot, chacun entend quelque chose, mais si tu mets un autre mot à côté tu l’éclaires différemment Les aphorismes c’est pareil. tu mets d’autres phrases autour et ils sont éclairés différemment. Tu prends le même aphorisme, tu le change de contexte, son sens va changer ou se nuancer autrement. Du coup, pour revenir à l’interprétation des gens, si tu es littéral quand tu essayes de formuler quelque chose qui est absolument hors de portée de formulation, tu enfermes le trucs, ça devient un dogme et tu ne laisses d’espace à personne.
Donc du coup tu crées des brisures tu vois. C’est comme un miroir et puis tu brises le miroir comme une boule à facettes et ainsi l’écriture cassée laisse de l’espace pour l’interprétation. Avec des aphorismes qui se confrontent à des oxymores, des choses un peu paradoxales, puis des naïvetés, tout ça crée une forêt où chacun peut se balader. Mais moi je ne le fais pas pour eux, je ne le fais pas pour les gens. je le fais parce que c’est le meilleur moyen de formuler le mystère. Parce que le mystère est informulable en soi. 

Il est du domaine de l’expérience. Et par l’expérience chacun peut formuler son mystère. C’est le contraire du dogme. Le dogme c’est quelque chose qu’on te dit et que tu crois -la croyance-, la foi, elle, est une expérience personnelle.

 

CàP : Dans certains de tes textes tu prends semble -t-il plaisir à twister des expressions du quotidien pour poétiser leur trivialité. Je pense par exemple à “poignées d’amour” dans  Dans la rocaille

AI : Oui justement j’aime bien utiliser des phrases à plusieurs sens. C’est comme si tu proposais deux chemins. J’aime créer la surprise, le contraste. Par exemple dans la Joie noire, je dis “Mais c’est des enculés ! Dieu !” (rires) bah là en juxtaposant ça, tu prends Dieu à témoin, s’adresser à Dieu en disant que c’est des enculés ça crée une dissonance, deux chemins. A la fois le mec s’adresse à Dieu, c’est très rond, mais il lui dit que les gens sont des enculés...

Avec “les poignées d’amour” c’est pareil le gars il dit je veux des brassées d’amours, il a besoin d’amour, et en même temps on entends, je veux des poignées d’amour, il y a quelque chose de potache ou de sexuel.

 

CàP : Tes textes pourraient-ils être écrits par une femme?

AI : J’ai écrit quelques textes pour Lisa Portelli du point de vue d’une femme Je suis la Terre où la femme dit à son conjoint qu’elle l’aime malgré ses faiblesses et Tout cela, une chanson sur un avortement. Quand j’écris pour Lisa, c’est ma part de féminin qui parle. En tant qu’homme, j’ai une part de féminité, le côté intuitif, éthérée qu’on attribue aux femmes normalement. Une femme pourrait donc, je pense, écrire mes textes. Je crois de toute façon que la création est en grande partie quelque chose de féminin.

 

CàP : Tu décris ton nouvel album comme le résultat d’une introspection : tes textes pourraient-ils être écrits par quelqu’un de jeune ?

 

AI : Ecoute il y a un mystère Rimbaud, qui a écrit à 17 ans des choses qui sont quand on les lit, d’une puissance et d’une profondeur dingue pour tous les âges. Donc c’est possible. C’est sûr que les textes sont aussi le produit de mon expérience de la vie. Mais quand même, si! C’est tout à fait possible. C’est ce que je disais quand tout est aligné dans l’écriture tu écris des choses plus grandes que toi. ça vient sans doute de l’inconscient collectif. Ça vient peut être du vécu d’autres. Tu te mets en résonance avec des choses vécues par d’autres. Très souvent aussi tu écris des choses et tu les vis après. Donc l’écriture n’est pas forcément en fait un produit de l’expérience. Tu te mets en résonance avec quelque chose qui est plus grand que toi. avec l’humain quoi, donc oui c’est tout à fait possible et Rimbaud a écrit Le bateau ivre sans avoir vu la mer...

 

CàP : Tes textes pourraient-ils être écrits par un méchant.


AI : Il n’y a pas d’ordre moral dans la création. Woody Allen disait qu’une montre cassée donne l’heure juste 2 fois par jour et un méchant peut donner de l’amour juste aussi.

 

CàP : Tes textes pourraient-ils avoir été écrits par un animal?

AI : Les animaux par définition n’écrivent pas, du coup imaginer un animal qui écrirait mes textes ne peut être qu'une projection humaine. Mais bon comme animal totem au niveau de mon écriture ce pourrait être un oiseau de proie. Mon écriture n’est pas dans le quotidien, elle prend de la hauteur, et elle plonge aussi.

 

CàP : Quel super pouvoir aimerais-tu donner à ton écriture?

AI : J’aimerais que mon écriture puisse rendre de manière  évidente, pérenne voir définitive la beauté du monde aux gens et à moi même. Qu’elle puisse  ouvrir une sorte de 3ème oeil à chaque personne qui l’entende.



CàP : Tu as eu plein de critiques dithyrambiques sur ton album. Est-ce que l’une d’entre elles t’a particulièrement touchée?

AI : J’aime bien ce qu’a dit Mandor - François- “formuler l’informulable” c’est vraiment ce que je propose - que chacun puisse formuler son informulable. Donc s’il le dit, c’est que ça marche, quoi !

 

CàP : Tu préfères que tes textes, plaisent, dérangent, invitent ou bousculent ?

AI : Je dirais bousculent car quand tu bouscules, tu as tout. Quand tu bouscules tout peut arriver. C’est du domaine de l’expérience. La personne peut se retrouver dérangée ou peut être bousculée et aimer ça, ou entendre un appel, être invitée à quelque chose. Donc je choisis le mot qui rejoint l’expérience : bousculer c’est ça.

 

CàP : Comment travailles tu le rythme de tes textes?

AI : En général c’est assez naturel. J’aime bien quand on peut oublier la structure d’un texte. Qu’on oublie si ça rime ou pas. Après le meilleur moyen de travailler la rythmique c’est de réciter le texte à l’oral. C’est ce que je fais.

 

CàP : Comment se fait le travail de mise en musique?

AI : Y’a pas de règle je crois. Je composais beaucoup plus avant. Maintenant je travaille surtout avec des compositeurs : Bertrand Louis et Lisa (Portelli). J’ai fait une chanson qui s’appelle Jérusalem. J’ai demandé à Bertrand Louis de me créer un riff un peu oriental, et je me suis dit que je l’écouterais pour composer un texte dessus. et quand il m’a donné le fichier, il l’a appelé Jérusalem. Et là j’ai réalisé que j’étais allé à Jérusalem et d’un coup ça m’a évoqué plein de choses. J’avais plein de choses à dire sur ce thème. Y’a plein d’aller-retour comme ça.

Jérusalem · Andoni Iturrioz  dans Le roi des ruines- sorti le 4 octobre 2019

CàP : Et les rires, les cris qui habillent tes textes, les penses-tu pendant ou après l’écriture?

AI : Ça vient après. L’écriture - c’est en ça que je suis un auteur avant tout- je la pense indépendamment de tout. indépendamment de la musique. Ensuite c’est un travail de scène, d’interprétation. Quand on est en train de jouer il se passe des choses. Quand on aligne tout.  L’écriture devient un ingrédient scénique, on l’aligne et hop il se passe quelque chose, ça se transforme comme ça. On découvre toujours en faisant. Les rires sont venus comme ça, comme le souffle. Après y’a des choses qui ont une symbolique, par exemple les aba aba aba dans Judas Iscariote. Aba c’est “père” en araméen. et ce que je voulais en gros, c’est qu’il y ait les mots de la personne raisonnée, civilisée qui fait ce travail de conscience et aussi un son primitif et animal comme une onomatopée, et ce mot aba aba comme un mantra -père père père père père avait ce rôle. Là c’est pensé mais je l’ai écrit en dehors du texte lui même, au moment où on a fait la musique.


 

CàP : Quelle chanson choisirais-tu pour offrir à la personne qui t’es plus chère?

AI : La fabuleuse histoire de Judas Iscariote car en terme d’ouvrir les yeux, je pense que c’est un texte qui peut faire basculer les gens.

 

CàP : Si tu pouvais inviter à ta table n’importe quel artiste, un chanteur vivant, un prophète et une femme inspirante qui seraient ils et quelle question leur poserais tu à chacun?

 

AI : Rimbaud, Mickael Gira (Du groupe Swans), Jésus et Lisa Portelli qui est ma compagne et qui est inspirante. Et je n’aurais pas de question, je les regarderais vivre.

 

CàP : Souvent quand on t'interviewe les journalistes  te décrivent comme un auteur engagé qui parle de la société, et tu t’en défends en disant que tu décris la vie, et ses échos mais que tu ne cherches pas à défendre une vision sociétale. Mais du coup, quel serait un exemple de texte engagé pour toi ?

 

AI : Je pense à Strange Fruit de Billie Hollyday où elle évoque les pendus victimes du racisme. On comprends très bien de quoi on parle, mais c’est suggéré, le dire politique ne prend pas la place de la poésie. C’est le choix du thème plus que la manière de le dire qui est politique. J’ai plus de mal avec la chanson dite militante, il suffit de montrer les choses en fait pour que ça influe le positionnement des gens. Si tu montres les choses, et par montrer j’entends plutôt révéler, si tu révèles les choses aux gens, la position des gens va changer. A l’inverse si tu leur dis comment ils doivent voir ou penser, ils ne le verront pas à ta manière. Il faut révéler simplement, et ça, voilà Strange fruit, ça révèle.

 

CàP : Tiens! Toi qui aimes Rimbaud. Il aurait dit :  “Il faut être résolument moderne”. Penses-tu que tes textes le sont?

 

AI : On ne sait pas si Rimbaud a écrit ça de manière ironique ou pas. Moderne? Ça dépend ce qu’on appelle moderne… Si ça signifie que c’est inscrit dans la contemporanéité, alors oui, je pense que c’est vraiment un album de notre époque. Ensuite, être contemporain ne suffit pas. Il faut que cela fasse partie de l’Histoire ensuite. Que ça s’inscrive dans une lignée historique, artistique, et ça, je ne peux pas me prononcer.

 

CàP : Cite moi un vers de Rimbaud qui correspond à ta posture artistique 

AI : Et J’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir, dans le Bateau Ivre.

 

CàP : Tu utilises aussi beaucoup l’image aussi pour t’exprimer. Notamment dans tes clips. En quoi l’image est un langage complémentaire à ce que tu délivres dans tes textes.

 

AI : J’aime l’image parce que j’ai commencé par être photographe, quand je voyageais je faisais de la photo. J’essaye que le texte soit indépendant, ça reste la pierre angulaire. Puis ensuite le texte entre en résonance avec la musique, composition et arrangements, ça crée un autre objet, puis encore avec l’interprétation et ça crée un autre objet. Puis plus tard les musiques entrent en résonance avec des images et cela crée également un autre objet. C’est une sorte de continuité, comme quand on avance dans la vie.

En tout cas j’essaye que les clips ne soient pas une illustration de la chanson. J’essaye que cela se transforme. Que ça devienne autre chose.


 

CàP : Souvent on décrit ta musique comme un cri- Qu’est-ce que cela t’inspire ?

AI : Le souffle qui nourrit ce cri c’est le fait d’être en vie. Un cri derrière le cri. Ce cri est destiné à ceux qui l’entendent. Un mystère derrière le cri.


 

CàP : Passons sur le grill de la poésie. Je te donne une figure de style et un thème, tu me réponds le plus spontanément possible.

Choisis…

... une allégorie pour le concept  “Renaissance” qui est très présent dans ton album 

AI : Un enfant qui tombe et qui se relève

 

CàP : …. un oxymore pour décrire ton écriture

AI : Un non sens qui parle

 

CàP : … une métaphore de l’écriture

AI : Des équations irrationnelles

 

CàP: … une allitération sur la base du mot que tu trouves le plus poétique.

AI : J’ai pas de mot plus poétique mais du coup désert. Le désert ravi de rouler dans les ravins

CàP : … une comparaison à présent. Tu définis ta musique comme un objet artistique. Si elle était un objet du quotidien, auquel la comparerais-tu et pourquoi?

AI : Une marmite, un chaudron, un creuset ! Pour faire de l’alchimie.


 

CàP : Tu as cet axiome dans tes textes : « Entendu que la beauté a toujours raison » Fini celui -ci entendu qu’à l’horizon des mots il y a …

AI : Dieu 

Andoni Iturrioz avec Samuel Cajal - "Révolution (par épiphanie collective)"

CàP : Dans la prochaine séquence, je vais te donner une liste de mot et tu vas me dire si ça correspond plus au thème, à la visée ou au procédé de ton écriture.

 

Illusion - c’est le contraire des 3 ! J’essaye de tuer les illusions justement (remarque ça peut être un thème éventuellement)

Alchimie : procédé !

Voyage : procédé !

Renaissance : visée !

Vérité: visée !

Inconnu : visée !

Matière :  procédé !

Transcendance :  visée ! (la transe c’est le procédé)

Regard : procédé !

Paradoxe : procédé ! ça fait partie de la matière.

Instinct : procédé !

liberté : visée !

Bouleverser : procédé !

Inspiration : procédé !

L’absurde : procédé !

Percuter : procédé !

AI : C’est marrant j’ai pas utilisé le thème. parce que le thème c’est ce que tu découvres en fait...


 

CàP : Dernier petit jeu : je te donne une liste de titres de films français de ton année de naissance. Je te propose d’en choisir  8 pour ce qui constitueraient les titres d’un futur album. Et me dire de quoi parleraient les chansons correspondantes.

AI :

- Calmos car j’aime bien le film- et la chanson, ça parlerait du féminisme (éclat de rire) En plus c’est un film burlesquement mysogine à mort ! ahah ! 

- Le Choix – la chanson parlerait de damnation parce qu’il y a un dilemme existentiel. Certaines personnes se damnent à protéger un mensonge au fond d’eux. Envers et contre tout, toute leur vie. Et on a l’impression qu’ils n’ont même pas eu le choix. Est-ce qu’on peut naître damné, c’est quand même atroce au niveau moral.

- Le Corps de mon ennemi – Oh beau titre ! J’adore ça ! Ça pourrait être une histoire d’amour

- L'Assassin musicien – Sympa ça ! Je traiterais le rapport entre l’artiste et l’homme moral, tu sais le problème qu’on a avec Polanski, Céline tout ça...

- Le Juge et l'Assassin - J’aime bien. ça parlerait d’un  juge qui condamne à mort - donc qui est un assassin. et aussi du coup du condamné, l'assassin qui  juge ! Ce serait un assassin qui aurait tué par morale , et qui se ferait tuer par morale.

- Une vraie jeune fille – Une vraie jeune fille j’aime bien. Je trouve ça bizarre cette notion de vrai. C’est quoi une fausse jeune fille ? Y’a comme une assertion dogmatique là dedans par rapport à la pureté qui est une notion qu’on associe spontanément à l’idée d’une jeune fille. Du coup je ferai une chanson sur une jeune fille qui tire un fil. Qui se découvre.

- Une femme à sa fenêtre – du coup ça pourrait être l’inverse tu vois, c’est marrant ça. La vraie jeune fille ce serait celle qui travaille en conscience et du coup la femme à sa fenêtre ce serait celle qui se cache.

- La Victoire en chantant – Ah bah voilà! La victoire en chantant. ça ça parlerait de résurrection. De résurrection par le chant !!


(pour info lecteur, les titres non retenus: L'Argent de poche, Barocco, Je t'aime moi non plus, Le Plein de super, La Meilleure Façon de marcher, On aura tout vu, Si c'était à refaire, Silence... on tourne)


Merci Andoni ITURRIOZ pour long  et passionnant entretien !

J’en profite pour préciser que vous pourrez retrouver Andoni ITURRIOZ en concert  lors de la Soirée FrancoFans du 27 février prochain à Bagnolet en compagnie d'Estelle Meyer.


Vous pouvez également écouter Andoni   ou   !  Ou visiter son site web ICI -

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